Connaitre son histoire, c’est en tourner toutes les pages, des plus glorieuses aux plus dramatiques, sans n’en arracher aucune.
Cet objectif a été largement atteint lors de la récente conférence sur le projet culturel de Vichy. Le public, qui avait une nouvelle fois rempli la salle de la Bastide Pisan, a manifesté son grand intérêt en posant de très nombreuses questions et en participant à de riches échanges avec le conférencier du soir, Alexandre Faure.
Concepteur du Centre de l’Histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon en 1986, il a rappelé qu’à cette époque la France de Vichy restait un sujet tabou. Les travaux pionniers sur le sujet ne venaient pas de chercheurs français, mais d’américains comme Robert Paxton (Seuil 1973). Le film Le Chagrin et la Pitié réalisé par Marcel Ophüls en 1969 fut censuré par l’ORTF et ne fut diffusé qu’en 1981.
Le grand mérite d’Alexandre Faure est d’avoir été l’un des premiers chercheurs français à faire un véritable travail d’historien sur une période volontairement laissée dans l’ombre. Il a étudié les événements et les documents de l’époque avec la précision d’un horloger et la rigueur d’un scientifique. Ainsi a-t-il réussi à mettre en lumière le véritable projet idéologique d’un pouvoir soucieux de faire oublier la défaite de 1940 en propageant le mythe d’un retour à « la terre qui elle ne ment pas ». Ce qui au départ pouvait apparaître comme une recherche scientifique a glissé progressivement vers l’élaboration d’une doctrine dont la finalité était l’installation d’une culture nouvelle bannissant l’étranger. Il s’agissait de forger les esprits, de les manipuler dans l’idée que seul le folklore pouvait « assainir » la France.
Une impressionnante machine de propagande s’est mise au service de cette idéologie, à travers de nombreux organismes de recherche et d’action. Parmi eux, le Musée National des Arts et des Traditions Populaires a été très actif dans les champs de la musique, de l’architecture rurale, de l’artisanat, de l’imagerie. Cette propagande folklorique s’est appuyée sur l’enseignement, l’encadrement de la jeunesse, la presse, la radio et le cinéma.
La zone sud est découpée en six régions. Des commissions de propagande placées sous la tutelle des préfets, des corporations, des mouvements de jeunesse, des félibres adhèrent aux idéaux de la «révolution nationale ». Ils deviennent les relais actifs de cette entreprise de remise en valeur de la province, du paysan, du folklore, de l’artisanat, des arts et traditions populaires… Avec l’objectif non avoué de tourner le dos à tout ce qui se réfère à l’ouvrier du Front Populaire.
Mais derrière les apparences d’un mouvement de «provincialisation», c’est un véritable processus de centralisation du pouvoir qui est mis en œuvre, cherchant à contrôler l’information, la culture, la jeunesse, les idées…
Bien sûr, Vichy était dans la continuité d’une politique culturelle plus ancienne et le folklore n’est pas né de Vichy. Mais Vichy lui a donné une vitalité, une réalité, une légitimité et une autorité jusqu’ici jamais égalée.
La grande force du propos d’Alexandre Faure a été de montrer que tout le discours de Vichy relevait d’un imaginaire politique, conçu et instrumentalisé pour asseoir un pouvoir. Ce qu’il appelle des « mythologies politiques ». En effet, qu’il s’agisse du folklore, des costumes, de l’architecture, tout le discours de Vichy a été artificiellement construit par des intellectuels autour du mythe d’une France rurale traditionnelle idéalisée.
Il s’agit d’un véritable projet culturel qui contenait en lui les idées de repli sur soi, de rejet de l’étranger et particulièrement du juif « nomade » assimilé à l’ennemi de la terre. Et c’est ainsi qu’une mythologie identitaire, qui a séduit de nombreux esprits, y compris scientifiques, a légitimé une idéologie raciste qui a fait basculer le régime de Vichy dans la participation active aux déportations et à l’entreprise d’extermination des juifs conduite par Hitler.
En conclusion de son exposé, Alexandre Faure a clairement montré que le projet culturel de Vichy, en s’adressant prioritairement à la jeunesse de l’époque, a continué à influencer la période d’après-guerre et continue à marquer les esprits encore aujourd’hui. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les paroles et les actes du maire de Cogolin quand il déclare qu’il est le défenseur de « l’identité provençale chrétienne », quand il interdit des danses orientales ou organise une nouvelle fête agreste de la « Véraison ».
NOTA: Cette conférence s’est déroulée dans le cadre de l’exposition sur la « Propagande de Vichy » réunissant les affiches, journaux et documents d’époque aimablement prêtés par Walter Adella Pietra que nous remercions. Vous trouverez en pièce jointe le diaporama qui a accompagné cette exposition
Images et Pdf complémentaires :
– diaporama-pdf.pdf