Pour toutes celles et tous ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir se procurer le dernier numéro de Marianne du 27 avril 2016, rapidement épuisé dans le seul point de distribution de presse de Cogolin, nous avons le plaisir de publier l’intégralité de l’article de Mathias Destal qui dresse un portrait édifiant du Maire de Cogolin, de ses copains et de leurs pratiques. Cela permet de faire un peu mieux connaissance avec cet inconnu à qui ont été confiées les clés de la mairie.
L’article est également consultable sur le lien http://www.marianne.net/marc-etienne-lansade-apres-gauche-caviar-fn-mojito-100242394.html . Il a été repris avec humour par Didier Porte dans une vidéo consultable sur le lien http://actudirect.com/news/mediaporte-fn-bamboula-a-cogolin/
Didier Porte se produira le jeudi 19 mai à 20H44 à l’espace culturel Albert Raphael de Ramatuelle et nous vous invitons à aller nombreux passer une soirée d’humour et de bonne humeur.
Portrait
Marc-Etienne Lansade : après la gauche caviar, le FN mojito
Mathias Destal
Parachuté de Levallois-Perret, Marc-Etienne Lansade, le maire frontiste de Cogolin (Var), est un fringant jet-setteur aux larges appétits immobiliers. Son rêve : transformer la commune en annexe de Saint-Tropez. Sur la plage abandonnée, copinages et crustacés…
Mercredi 13 avril, 8 h 30. Marc-Etienne Lansade, seul, en plan fixe, se fait filmer par un membre de son cabinet devant les pelleteuses qui démontent un camp de Roms installé sur sa commune. « Heureusement pour les gens qui nous regardent, vous n’avez pas l’odeur en plus », lâche-t-il. Quelques heures plus tard, le maire FN de Cogolin poste la vidéo (voir capture d’écran ci-dessous) sur sa page Facebook et s’amuse à répondre aux commentaires. Un internaute : « Mais où vont aller ces êtres humains avec leurs enfants maintenant ?
– Ils peuvent aller chez vous si vous le souhaitez, une adresse à me communiquer ? » Le Robert Ménard du golfe de Saint-Tropez a frappé.
Inconnu du grand public et d’une majorité de militants du Front national, Marc-Etienne Lansade n’est pas le dernier venu au FN. Dans le drame œdipien qui secoue le parti depuis des mois, ce fan de grosses cylindrées et de virées en boîte excelle même dans le rôle du psy de service de la famille Le Pen. Adoubé par Marine, avec laquelle il partage bon nombre d’amis influents. Cajolé par Marion, qui l’a fait entrer au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Missionné auprès de Jean-Marie quand ce dernier, au plus fort de la crise avec sa fille, laissait planer l’idée de constituer une liste autonome dans le Sud-Est (lire l’encadré en fin d’article). C’est simple : le nouveau maire de Cogolin, l’une des 11 communes ravies par le Front national en 2014, fait l’unanimité à Montretout.
Plutôt jeune pour le job (43 ans), gouailleur et parfaitement à l’aise dans l’uniforme du frontiste « new-look » – costard, chemise à poignets mousquetaire, chaussures cirées –, Lansade incarne cette génération d’élus inexpérimentés mais présentables pour lesquels l’extrême droite, en quête de respectabilité, a les yeux de Chimène.
Porsche et Ray-Ban
La première fois que les Cogolinois ont fait la connaissance de ce grand brun venu de Levallois-Perret, ils l’ont vu débarquer en Porsche cabriolet, Ray-Ban Aviator sur le front. L’entrée en piste a fait jaser dans cette paisible bourgade varoise de 11 600 habitants, qui sert de dortoir, l’été, aux fêtards de Saint-Tropez et de Ramatuelle. Mais, à la fédération locale du FN, personne n’a moufté. La décision de parachuter Lansade, qui ne connaissait personne à Cogolin et n’avait jamais exercé le moindre mandat, venait d’en haut.
Marine Le Pen, son compagnon, Louis Aliot, et son directeur de cabinet, Nicolas Lesage, étaient à la manœuvre. Pourquoi lui ? « J’ai commencé à me rapprocher vraiment du Front national en 2007, nous raconte l’intéressé, quelques jours avant sa sortie sur les Roms, dans son bureau de l’hôtel de ville, troisième tasse de café à la main à 10 heures du matin. Un de mes copains de fac à Assas, Nicolas Lesage, le dircab de Marine, avait besoin de mon avis d’expert immobilier sur un gros dossier : la vente du siège du FN à Saint-Cloud. On s’est revus par la suite. »
Un soir de 2012, Marc-Etienne Lansade dîne avec Louis Aliot et Nicolas Lesage dans un restaurant parisien. « C’était peu de temps après l’élection de Hollande, j’étais en train de faire mes cartons pour me tailler au Luxembourg.» L’ex-futur exilé fiscal quitte finalement la table avec une offre alléchante : une investiture à Cogolin. Soit l’assurance, s’il ne fait aucun faux pas, de l’emporter face à Jacques Sénéquier, le baron de la droite locale qui achève un troisième mandat plombé par les combines et les coups tordus.
Moins de fisc, plus de flics
Pour gagner la ville, du sang neuf et les couleurs du FN, très populaire dans le département, suffiront. Seul impératif ? Sourire et serrer des louches en récitant le chapelet frontiste : gel des impôts locaux, défense de l’identité provençale, hausse des effectifs de la police municipale. Pour le compte de campagne, Lansade n’aura rien à faire : Nicolas Crochet, un expert-comptable proche de Marine Le Pen, mis en examen depuis pour financement illégal de parti politique, s’occupera de tout.
Sans surprise, le fils de bonne famille, élevé dans le XVIe arrondissement de Paris – papa fut président du conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes –, emporte la mise avec 53,1 % des voix contre 46,9 % pour le maire sortant. Fini l’anonymat et la grisaille francilienne, place à l’action publique et aux chaudes nuits tropéziennes.
Marc-Etienne Lansade ne s’en cache pas : c’est un noceur invétéré. Sur la Côte d’Azur, on le voit s’éclater jusqu’au bout de la nuit avec ses amis de la jet-set au VIP ou aux Caves du roy, deux dancefloors mythiques de Saint-Trop. « L’été dernier, il passait toutes ses soirées là-bas », témoigne un Cogolinois informé.
En 2014, le nouveau maire donne aussi de sa personne aux fiestas endiablées de l’Epi Club, un restaurant de la plage de Pampelonne, à Ramatuelle, en compagnie du rappeur Lord Kossity, du retraité des rings Franck Tiozzo ou du sénateur-maire frontiste de Fréjus, David Rachline.
Le grand copain de Lansade, Frédéric Chatillon, prestataire vedette du FN épinglé dans les Panama Papers et ancien leader du GUD, ce groupuscule étudiant d’extrême droite qui faisait le coup de poing à Assas dans les années 80, est lui aussi de la partie.
Les filles de Chatillon officient alors comme saisonnières à l’Epi Club. Cette joyeuse bande de bringueurs testostéronés s’en donne à cœur joie au bord de la piscine. Un peu trop au goût de la propriétaire des murs et de l’hôtel Epi plage. « J’ai vu arriver beaucoup de motards en Harley, raconte Shahla Mauch Deyhim. On aurait dit des Hell’s Angels… »
D’origine iranienne, cette femme d’une soixantaine d’années avait loué le restaurant à son compatriote Farshad Forouzandeh pour quatre saisons. En avril 2015, elle réclame le chèque de la deuxième saison, payable à l’avance. Elle n’en verra pas la couleur. Forouzandeh met les voiles et accoste à quelques encablures, sur l’unique plage de Cogolin, où son ami Marc-Etienne Lansade, grâce à un appel à candidatures taillé sur mesure, lui permet d’ouvrir un nouveau resto branché, l’Hippie Chic. Le 7 août dernier, c’était soirée des Mille et Une Nuits avec danseuses du ventre, mouton à la broche et cracheurs de feu. Le maire n’a dit mot de ce méchoui géant. Un an plus tôt, il avait pourtant justifié l’annulation d’un spectacle de danse orientale dans un gymnase municipal avec cet argument exquis : « Ici, on est en Provence, pas en Orient. »
« Pink party »
Mais ça, c’était avant les plages parties… Un business que Marc-Etienne Lansade connaît comme sa poche. En 2009, il avait monté un bar à cocktails à Split, en Croatie, le Beach Caffe Fibra dont les soirées « Pink party », « Funk Me, I’m Famous » ou « So Glam » attiraient leur lot de beautés slaves. « J’ai vendu mes parts, affirme-t-il aujourd’hui, un drapeau croate posé sur son bureau à côté d’une pipe – la spécialité de Cogolin. Il doit juste me rester un compte avec 500 € à la Splitska Banka. »
Sur le reste de ses sociétés, l’ancien étudiant en droit privé, option droit des affaires, n’est guère causant. Depuis sa sortie de la fac, il en a créé près d’une dizaine, tantôt seul, tantôt avec des associés français ou étrangers. Vendôme Consultant, Vendôme Rénovation, Vendôme TCE… Ces boîtes, spécialisées dans la gestion immobilière et le BTP, ont toutes été radiées. Dans les registres du greffe, le nom du maire de Cogolin n’apparaît que dans les statuts de quatre sociétés civiles immobilières (SCI) chargées d’administrer divers biens. La dernière en date s’appelle « Il connaît pas Raoul ? », tirade mythique de Michel Audiard auquel Marc-Etienne Lansade voue un culte appuyé.
La pierre, voilà le grand dessein de l’édile varois, par ailleurs vice-président de la communauté de communes du golfe de Saint-Tropez et membre de la commission foncier et urbanisme au Conseil régional. A Cogolin, deux projets pharaoniques l’occupent. La marina, l’une des plus étendues de la Côte d’Azur, a été construite dans les années 60. Elle peut accueillir 1 600 bateaux. Le maire veut ramener la jauge à 1 200 anneaux, pour attirer de plus gros navires, type yachts de milliardaires.
Pour cela, il doit attendre 2019 et la fin de la concession signée entre l’Etat et la société anonyme du port de plaisance. Mais la calculette chauffe déjà. « Sachant que le prix moyen d’un anneau sur trente-cinq ans est de 125 000 €, ça fait 150 millions d’euros de recettes, détaille Lansade. Quand bien même il y aurait 80 ou 100 millions d’euros de travaux à faire, on aura 50 millions d’euros de marge. » Tout bénef, donc.
L’autre fromage qui l’excite est un centre de vacances pour ménages modestes, le Yotel, niché sur un terrain communal de 13 ha. Son plan ? Raser les mobile homes et construire un village provençal avec appartements, hôtels et commerces pour touristes friqués. Seul hic : la zone est inondable et classée comme telle… Les négos avec les services de l’Etat pour assouplir les conditions de construction s’annoncent sportives. « J’ai bon espoir, assure le frontiste. Je pense que, fin 2017, on devrait avoir les permis pour une livraison en 2018-2019. »
Une frénésie immobilière qui fait trembler Francis José-Maria, l’ancien candidat de la gauche aux municipales. « A ce niveau, il ne s’agit plus d’urbanisme, mais de spéculation, s’insurge ce retraité qui, au travers de son association, Place publique, incarne la principale opposition locale au FN. Le maire a décidé de ne pas augmenter les impôts. Du coup, pour financer ses projets, il emprunte à tire-larigot : 2,5 millions d’euros en 2014, 3 millions en 2015, 6 millions annoncés pour 2016… Rien ne dit que ces réalisations permettront de rembourser de tels montants. » Dans l’ombre de Lansade le bâtisseur, un homme, issu comme lui de la franc-maçonnerie et de la bonne ville de Levallois, tient la truelle : Jean-Marc Smadja.
À l’école des Balkany
Ce septuagénaire, qui ne sort pas sous le cagnard sans couvrir son crâne dégarni d’un seyant panama, a été pendant des années l’un des acteurs clés du système Balkany. Cousin germain d’Isabelle, il présidait la société d’économie mixte (SEM) d’aménagement de Levallois-Perret, la Semarelp, entre 2002 et 2008. L’établissement, à l’origine du bétonnage de la prospère commune des Hauts-de-Seine, est aujourd’hui dans le viseur de la justice : les magistrats soupçonnent cette SEM d’avoir été au cœur d’un vaste système de pots-de-vin.
Le 15 décembre dernier, après l’annonce de son arrivée dans le Var, une bonne partie du conseil municipal de Cogolin a porté sur le statut de Smadja, présent ce jour-là. « Il n’a pas de contrat de travail. Pour vous dire la vérité, M. Smadja est à la retraite et touche trop d’argent pour avoir un contrat supplémentaire », s’est alors hasardé Marc-Etienne Lansade, en se tournant vers son nouveau « conseiller spécial » chargé de l’urbanisme.
La situation semble être rentrée dans l’ordre depuis. Jean-Marc Smadja est désormais rémunéré par la commune en tant que consultant. La facture est envoyée par la société Euromena finance, dont il est actionnaire aux côtés d’hommes d’affaires et politiques égyptiens ou libanais. Tarif ? Trente mille euros par an : pas cher pour un expert de ce calibre.
Heureusement pour lui, Smadja a d’autres sources de revenus à Cogolin. Telle cette maison de deux étages avec garage, rue Blanqui, au cœur de la vieille ville, acquise en 2013 pour 290 000 € et qu’il loue… à Marc-Etienne Lansade. « J’avais envie de l’acheter, mais je n’en avais pas les moyens. Jean-Marc l’a fait à ma place. Je lui verse 720 € de loyer par mois, affirme l’édile, en affichant sur son ordinateur la quittance de mars. Ça doit correspondre à son crédit. »
Les deux font décidément la paire. « Smadja et Lansade sont venus tâter le terrain ensemble bien avant le début de la campagne municipale », se souvient Anthony Giraud, 29 ans, un ancien membre de la majorité FN, passé avec armes et bagages dans l’opposition il y a six mois. Giraud, l’enfant du pays, a introduit le futur maire auprès des notables du coin. Aujourd’hui, il veut sa peau. Comme Pascal Cordé, un autre conseiller municipal déchu, ou Didier Monnin, un ex-frontiste désormais responsable de la fédération du Var du Parti de la France, le mouvement fondé par Carl Lang en réaction à la « dédiabolisation » du FN. « Lansade est un nationaliste d’opérette ! » s’emporte Anthony Giraud. Réponse du maire : « Ce type est un fada… »
Pour les idées, Marc-Etienne Lansade s’en tient à la ligne droitière et conservatrice établie par la députée du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen. Une amie intime : il a donné le prénom de sa fille, Olympe, à la salle des mariages de Cogolin. Et trouvé un petit boulot à sa marraine, Catherine Besson. Peintre à ses heures perdues, l’ancienne assistante du pôle « grande manifestation » de l’équipe de campagne de Marine Le Pen en 2012 émarge aujourd’hui comme salariée de la commune : elle écrit dans le magazine municipal, Terre-Mer.
A force de graviter dans le premier cercle des Le Pen, Marc-Etienne Lansade se devait, évidemment, de figurer dans la Présidente, une BD récente qui raconte ce que pourrait être la politique de la France si Marine Le Pen entrait à l’Elysée. Un exemplaire trône dans sa bibliothèque. « Je ne l’ai pas encore lu, j’ai juste vu que j’avais une gueule immonde, commente-t-il en feuilletant l’ouvrage. Sans déconner, un vrai phacochère. » Cochon qui s’en dédit.
Jean-Marie le « nuisible »
Le 2 avril 2015, Jean-Marie Le Pen dérape. Interrogé au micro de RMC sur les chambres à gaz qu’il qualifiait en 1987 de « point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale », le fondateur du Front national persiste et signe. «Je crois que c’est la vérité », lâche-t-il.
Entre Marine et son père, c’est le clash. « Le Menhir », qui devient persona non grata au FN, laisse alors planer le doute sur ses intentions pour les régionales. Soutiendra- t-il sa petite-fille, Marion, en campagne dans le Sud-Est, ou fera-t-il cavalier seul ?
En juillet, la députée du Vaucluse envoie Marc-Etienne Lansade chez papy pour arrondir les angles. « Je l’ai supplié à genoux, il ne comprend rien », rapporte l’élu de Cogolin en petit comité, le 13 juillet, à la fédération FN du Var. Et d’ajouter : « Si je disais tout ce que je pense de la Seconde Guerre mondiale, je serais inéligible trois fois en cinq secondes. Ce monsieur est aigri et à 88 ans, il veut toujours s’accrocher au pouvoir. Au lieu de profiter de la vie, il reste et devient même nuisible… »