A l’heure où l’Union Européenne (UE) traverse de fortes turbulences, liées aux crises économiques et migratoires, Jean-Claude Boidin a permis au nombreux public venu assister à sa récente conférence de découvrir une réalité mal connue de cette institution, celle de son action décisive dans le domaine de l’aide au développement. C’est ainsi que l’UE est de toutes les puissances mondiales le premier contributeur à l’aide au développement en y consacrant 13 à 14 milliards d’euros par an, ce qui représente entre 8 et 10 % de son budget global et 55% de l’aide publique au développement mondiale.
DES RAISONS ECONOMIQUES ET COMMERCIALES
Comme il l’a justement rappelé, cette ouverture vers le Sud est inscrite dans l’ADN de l’Europe dès sa création et elle est reprise dans les traités successifs qui la régissent. Le fondement principal de cette relation est économique, pour sécuriser les sources de matières premières et assurer les débouchés commerciaux de l’UE. Préférences commerciales, conventions d’ouverture aux exportations des pays en développement, accords d’association … sont les instruments qui lient aujourd’hui 79 pays partenaires d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) aux 28 membres de l’UE. Un système de préférences généralisées de réduction des droits de douanes est adopté dans les années 1970 en faveur de tous les Pays en Voie de Développement (PVD). Il est amélioré en 2001 aux profits des pays les plus pauvres avec l’initiative « Tout sauf les Armes ».
A partir de 2000, les règles du commerce mondial ne permettent plus d’accorder des préférences sélectives à certains PVD, ce qui a amené l’UE à conclure une série d’Accords de libre-échange avec les pays partenaires du monde entier avec trois principes clés : la préférence pour les accords régionaux, la prise en compte des différences de développement des PVD, la reconnaissance de son rôle dans le développement de l’économie mondiale.
UNE VOLONTE DE COOPERATION
A côté de la relation commerciale, l’UE s’est fixée un objectif plus structurel et ambitieux : celui d’accompagner les transformations économiques et sociales dans les pays partenaires, pour réduire les écarts de développement et lutter contre la pauvreté. Le Fonds Européen de développement (FED) qui est réservé aux pays ACP, est alimenté par des contributions des Etats Membres. Avec 30 milliards d’euros pour la dernière dotation, il reste le plus gros instrument de coopération externe de l’UE. Malgré tout, ni l’UE ni la majorité de ses états membres n’ont atteint les objectifs auxquels ils se sont engagés de consacrer 0,7% de leur PIB à l’aide publique au développement. Ils peinent à atteindre les 0,4 à 0,5%.
Composée essentiellement de dons, l’aide de l’UE est programmée sur des périodes longues de 7 ans et obéit au principe d’appropriation par le pays partenaire qui détermine ses propres priorités. Partout où cela est possible, la société civile est invitée à jouer un rôle actif dans le dialogue et la mise en œuvre des politiques et réformes engagées par ces pays.
L’Afrique et les pays du voisinage sont les principaux bénéficiaires de l’aide européenne qui se concentre sur les pays les plus pauvres. Ces aides sont principalement dirigées vers l’agriculture et la sécurité alimentaire, la santé, l’eau, l’assainissement, la coopération entre PVD, les transports, l’environnement, les ressources naturelles, le climat…
A partir de 2000, l’UE a travaillé dans le cadre général des 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD 1), et des progrès importants ont été réalisés. Depuis 2015, elle dispose d’un cadre plus ambitieux encore, celui des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD 2) défini à l’horizon 2030.
L’UE, ACTEUR HUMANITAIRE
Différente de la coopération au développement, cette activité est déclenchée en cas de conflits ou de catastrophes naturelles pour répondre directement aux besoins des populations. Avec un budget global de 1 milliard d’euros, elle finance des secours urgents et traite principalement avec des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des organisations internationales reconnues. L’aide humanitaire ne peut pas vraiment agir sur les causes des conflits, mais une fois la phase d’urgence terminée, c’est à la coopération de prendre le relais pour la reconstruction/réinsertion/réintégration des communautés sinistrées ou déplacées. C’est aussi le rôle de la coopération de soutenir la prévention des crises partout où cela est possible.
LA DIMENSION POLITIQUE
Il s’agit ici pour l’Europe de promouvoir « ses valeurs » dans le monde et auprès de ses partenaires en développement. Dans les accords qu’elle conclut avec eux elle définit comme éléments essentiels les Droits de l’Homme, la Démocratie et l’Etat de Droit, et y associe des notions proches comme la bonne gouvernance, la transparence et la lutte contre la corruption.
Pour s’assurer que ces accords débouchent sur des résultats concrets, ils sont signés et ratifiés par les deux parties qui sont engagées. Un dialogue politique permet d’examiner les progrès et discuter les problèmes, une coopération financière et technique est mise en place dans le domaine de la gouvernance (appui aux élections, justice, prisons..), la Société Civile est mobilisée comme un acteur et un aiguillon à l’appui des réformes… L’exemple de l’organisation d’élections démocratiques au Congo montre que cela peut fonctionner. En cas de non-respect de ces accords, des procédures de consultation peuvent aboutir à des sanctions, comme cela a été le cas récemment au Burundi avec la suspension d’une aide globale de 430 millions d’euros sur 5 ans.
QUELS RESULTATS, QUELS DEFIS ?
Après 40 années de coopération structurée, des résultats positifs ont été obtenus en matière de coopération au développement. D’importants progrès ont été réalisés sur la plupart des Objectifs du Millénaire pour le Développement par la majorité des pays, sauf ceux en conflit. Disparition des grandes famines, progrès de l’éducation primaire, maitrise graduelle de la pandémie du SIDA, croissance rapide dans les grands pays émergents, augmentation des rendements rizicoles au Mali par exemple…
Dans le contexte d’un monde multipolaire, plus différencié et plus complexe, la problématique du développement traverse chaque société confrontée à des défis devenus mondiaux : multiplication et enracinement des conflits, accélération des migrations, défi démographique, rôle des puissances émergentes, défi climatique, accès aux ressources… Défis qui appellent des réponses globales. L’Europe a un rôle important à y jouer en tirant parti de sa cohésion et en tirant les ambitions vers le haut.
Secouée par la crise des réfugiés, affaiblie par les restrictions financières, divisée entre ses états sur les réponses à apporter, avec l’expression de tendances protectionnistes ou isolationnistes, sollicitée pour intervenir dans des domaines où ses compétences sont faibles (action militaire, lutte anti terroristes…) ou incomplètes (migration, asile, gestion des frontières), l’Europe et ses dirigeants feront-ils face à ces défis avec le même esprit ouvert et solidaire que l’UE a montré depuis ses débuts ? Pourront-ils maintenir un engagement fort envers les régions les moins favorisées ?
La réponse à ces questions n’est pas à Bruxelles, mais bien dans chaque pays et région de l’UE, car l’Europe est à l’image de ses Etats-membres et de ses citoyens. Sur l’immigration comme sur la coopération internationale, les choix que l’Europe fera demain refléteront nécessairement l’état de l’opinion, mais aussi la mobilisation de la société civile.
La présentation de Jean-Claude Boidin a été suivie d’un riche débat autour de très nombreuses questions sur les impacts environnementaux du développement, la prise en compte des us, coutumes et valeurs des différentes sociétés, la raréfaction de l’eau et la désertification, l’exploitation des richesses énergétiques ou minières par les grandes sociétés, l’indépendance réelle des PED face aux interventions extérieures, l’absence d’Europe sociale, les sanctions à l’égard des pays de l’UE qui ne respectent pas les droits de l’homme (exemple des réfugiés)…